[Guy Hamel] Une dernière virée à Dijon

Le temps est pourri, comme d'habitude à Dijon. Je pense qu'il y a clairement un micro-climat dans cette satanée ville. Toujours de la pluie. La seule exception se produit lorsque cette dernière fait place à la neige... Mais on doit avoir le taux de précipitation le plus élevé d'Europe, par ici. Qu'importe, ça ne me concerne plus.

Mon contrat vient d'être résilié, le vice-président s'en est sorti grâce à une pirouette dont j'aurais eu honte d'avoir recours, afin d'éviter la case prison. De mon côté, je ne pouvais que refuser de jouer plus longtemps pour ce club de déglingos, qui n'a toujours pas marqué le moindre point lors des 6 matchs effectués en mon absence... Sachant qu'en 4 matchs avec moi, nous en avions gagné 3, ça vous situe un peu l'apport du bonhomme.

Bref, il me fallait trouver un nouveau club, et les règlements de la FFF ne me permettaient pas d'en rejoindre un avant le mercato estival. Il était donc évident que je devais me maintenir en forme, mais aussi, et surtout, ne pas faire trop de vagues... J'étais absolument conscient que mon début de carrière aurait tôt fait de me donner une étiquette de joueur incontrôlable, à la Nicolas Anelka, alors que j'avais juste eu le malheur d'arriver au mauvais endroit au mauvais moment, dans un club loufoque, avec un vice-président pervers.

Je garais mon vélo près de l'entrée du stade, avant de rejoindre les vestiaires, pour prendre mes affaires dans mon casier. Bizarrement, l'intendant me les donnait sans poser de souci. J'avais imaginé que le club lui aurait soumis des pressions afin qu'il fasse traîner les choses...

-"Et l'auxerrois, tu sais qu'on va te regretter par ici
-Pardon ?
-Ba oui, t'as vu l'équipe qu'on a ? Avec toi, on aurait assuré le maintien de manière évident, on aurait même peut-être pu goûter aux joies des matchs de National... Là, on se bat pour ne pas descendre en CFA2. Ce serait la mort du club...
-Je suis désolé, tout cela ne me concerne plus, merci pour les affaires.
-Hé, quand tu joueras au Real, oublie pas ceux qui t'ont donné un coup de pouce quand tu n'étais encore rien, hein!
-J'y penserai, Dimitri. J'y penserai..."

C'est vrai ça, j'y penserai. Mon père sera toujours là pour me dégonfler la citrouille, si celle-ci venait à germer. Mais pour l'instant, il n'était pas question de Real. Plutôt de trouver un club de CFA ou de National pour l'an prochain. Je m'apprêtais donc à aller courir, le soir.

Mais je savais d'ores et déjà que ce serait difficile au vu de ma journée de la veille. Très difficile.

Je décidai de regarder le match d'entraînement de mes anciens équipiers...

Flashback :
La veille, je me trouvais tranquillement dans mon appartement, quand soudain, Cynthia, une fille que je fréquente plus ou moins régulièrement, m'appela au bord des larmes.
Elle venait de se faire larguer, et ses yeux étaient l'origine d'un jet qui aurait rendu jaloux n'importe quel Grolandais pratiquant de manière olympique la discipline du lancer d'urine...
Ce genre d'histoire ne m'émouvait pas. J'en avais connu d'autres, mais elle semblait très attachée à son boyfriend. Je prenais alors le tracteur de mon père pour rallier le bourg voisin, où elle demeurait. Presque arrivé à bord, je me rendis compte que j'avais passé le chemin, assis sur une poule qui s'était invitée dans le tracteur pour la nuit, quand ses copines étaient dans la grange, à la merci des autres animaux...
Qu'importe. Je rejoignais donc Cynthia chez elle, qui surfait sur le net, et parlait avec son ex via MSN. Ce dernier semblait s'assurer qu'elle ne chercherait pas à le récupérer, au vu des insultes qu'il lui proférait...

Ni une, ni deux, je décidais de faire une entorse à mon régime draconien, et je passais la soirée avec Cynthia, à boire, dans un premier temps chez elle, avant d'émigrer dans une boîte de strip-tease, d'où elle pouvait apprécier le corps huilé de certains bonshommes... La pauvre était totalement saoule, et je dois avouer que je l'avais accompagnée dans sa démarche. On ne laisse pas une amie boire seule...
Le lendemain, aujourd'hui donc, j'avais eu toutes les peines du monde à m'extraire de mon lit. C'est tout ce dont je me souviens de cette matinée, car ensuite, ce fut le trou noir, jusqu'à ce que je n'aille rejoindre le terrain d'entraînement de Dijon pour l'entraînement...

FIN DU FLASHBACK...

J'observais donc mes anciens équipiers s'entraîner. Certains étaient devenus mes amis, je n'avais aucune amertume envers cette équipe. Envers ce club, en revanche, ma haine n'avait d'égale que la taille des attributs de Rocco Sifredi...

Et puis le trou noir, de nouveau...

Je me réveille enfin. Je ne sais pas combien de temps a pu s'écouler depuis que j'ai perdu conscience, mais probablement longtemps... Je ne sais pas si je peux désormais parler. J'ai peur d'essayer. Peut-être n'y arriverais-je plus jamais ?

L'opération de la dernière chance concernait peut-être ce paramètre d'ailleurs ? Je suis dans une salle d'hôpital tout ce qu'il y a de plus classique, mes yeux sont lourds, je ne parviens à les ouvrir qu'alternativement. Et cela ne dure jamais très longtemps.

J'aperçois néanmoins sur ma gauche une poche de sang reliée à mon bras. Le temps passe. Je ne sais pas ce qui arrive. Pour tout dire, je m'ennuie. Il faut dire que le temps défile aussi vite qu'un débordement de Koji Nakata. La faute à ce stress qui monte en moi. Pourrais-je un jour rejouer au football ? Il y a quoi, 3, 4, peut-être 7 ou 8 heures, je ne sais pas, le temps qui passe m'est inconnu, j'étais tranquillement en train de regarder mes équipiers jouer. Peut-être pourrais-je un jour rejouer au football. Mais pour l'instant, cela est totalement exclu. Je décide de hurler pour voir si je peux encore communiquer.

-"AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH!

Je perçois un cri horrible qui émane de ma bouche, façon Scream. Je me rends compte que j'ai dépensé tellement d'énergie pour produire ce cri que je tombe de fatigue.

Le temps passe. Je ne me rappelle même pas de mes rêves. Je me réveille soudain, et aperçois les médecins, tous situés autour de moi...

-"Monsieur Hamel, nous vous avons entendus tout à l'heure. Ne parlez pas, sans quoi vous utiliseriez trop d'énergie et replongeriez dans un léger coma. Si vous êtes d'accord, clignez des yeux une fois. Si vous n'êtes pas d'accord, clignez deux fois ? D'accord ?"

Comme un con, je n'eus que la réponse suivante...

-"D'accord"

Le médecin me réexpliqua la consigne, et je clignai alors une fois des yeux pour indiquer mon accord.

-"Monsieur Hamel, la situation est critique, nous avons trouvé des traces de cocaïne dans votre sang, en quantité relativement conséquente. Consommez-vous régulièrement cette substance ?"
-"Mais je n'en consomme jamais"

J'hurlai, le médecin avait raison, j'étais à deux doigts de replonger dans le coma. Je me calmai...

-"Calmez-vous monsieur Hamel. Qu'importe. La prise de cocaïne a permis de révéler une pathologie de votre système immunitaire. Une pathologie relativement rare qui, combinée à votre chute tout à l'heure, a mis en évidence une incapacité de votre part à recréer suffisamment de cellules pour réparer les dégâts de cette chute.
En bref, vous êtes tombés de manière brutale vers l'avant, et votre face a heurté la main courante, vous défigurant totalement. Cela dit, votre pathologie, combinée à la prise de cocaïne, vous empêche de cicatriser, ni même de remodeler votre face afin qu'elle redevienne humainement acceptable. Je ne sais pas si...
-Si, il le faut" lui soufflait son assistant.
-"Bien, regardez-vous dans ce miroir"

Je m'observais, et j'étais absolument méconnaissable. J'étais devenu plus vilain que les pochards de mon âge, Yonne oblige. Un de mes yeux semblait être exorbité, alors que l'autre était plus rouge qu'Alex Ferguson après sa cuite quotidienne. Mon nez ne formait plus, avec le reste de mon visage, un angle droit, mais plutôt un angle à 30 ou 35°, alors que mes sourcils étaient brûlés et qu'une de mes oreilles semblait avoir été mordue par un chien (ou par Mike Tyson, bref, c'est pareil après tout)...

-"AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH"
-Cette fois, vous savez pourquoi vous criez, Monsieur Hamel. Désirez-vous la mise en place d'une chirurgie esthétique pour vous redonner un visage correcte ? Malheureusement, nous ne pourrons pas reproduire votre ancien visage. En êtes-vous conscient ?

Comme un bon soldat, je clignais une fois des yeux, et me plongeais de nouveau dans un profond sommeil...

Je me réveillai et disposai d'un nouveau visage. Certes, le changement n'était pas très flagrant, j'avais toujours une bonne bouille plutôt ronde, mais j'avais perdu des joues, et mon regard était devenu plus agressif.
Pour n'importe qui, le fait de changer de face aurait entraîné un trouble de la personnalité, pas chez moi. Des gens qui changeaient de face rapidement, j'en avais connu dans l'Yonne. Des gens qui sont assis sur le même banc de classe que toi et que tu revois 3 ans après, minés par l'alcool, la face rouge, le nez énorme, les yeux ahuris. Bref, j'en avais connu des plus désavantageuses, des changements de face.

Néanmoins, il restait deux problèmes à régler. Le premier consistait à trouver un nouveau club. A cette époque, je ne savais pas que je trouverai rapidement la parade en rejoignant l'AEF, toute nouvelle école de football, me permettant de réciter mes gammes au contact des meilleurs...
La deuxième concernait ma vulnérabilité soudaine. Je restai atteint par le syndrôme dit de "la mâchoire qui tombe", qui ne présente aucun inconvénient à l'état normal, mais peut entraîner des crises, généralement bénignes, mais qui peuvent se transformer en conduites ordaliques pour peu que j'ingurgite de la cocaïne en grosse quantité, comme ce fut apparemment le cas ici...
Et donc un troisième problème à régler. Qui pouvait donc bien être l'individu m'ayant fait ingurgiter toute cette cocaïne pendant mon trou noir ? Je ne me rappelai de rien. Mais je restais prudent. Tout en soupçonnant de nouveau cet infâme président adjoint de Dijon. Un jour, je trouverai. Mais sans doute pas tout de suite, ni demain. Ni cette année.
L'enquête ne fait que commencer.
Mais la péripétie du jour ne fait que finir...

Avant votre opération de chirurgie estéthique, Cynthia vous trouvait craquant, charmant, etc... Elle n'osait sans doute pas vous le dire mais vous étiez completement son style. Malheureusement ce n'est plus le cas. Il semblerai qu'elle se soit casé avec l'un des chippendale de la soirée. Mais après tout, pourquoi la coco', ce ne serai pas Cynthia ?
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